
En exclusivité, Ily Tiraogo, grand homme de culture burkinabè s’ouvre à vous
1- LADIKA: Vous avez eu une carrière d’enseignant. Qu’est-ce-qui vous a inspiré à embrasser une carrière d’enseignant et quels sont les souvenirs marquants de cette période ?
I.T : À notre temps , il n’y avait pas autant de métiers comme maintenant. Les métiers en vogue étaient l’enseignement, la santé, l’agriculture et l’élevage. J’ai donc été marqué par mon enseignant.J’ai été un élève du centre de formation des jeunes agriculteurs.j’y ai fait 4 ans .Cet enseignant m’a marqué par sa dignité et sa responsabilité .il m’a considéré comme son fils et j’ai voulu être comme lui et aussi venir en aide à d’autres enfants qui me prendront comme repère .Comme souvenirs les plus vivaces qui m’ont marqué À mon premier poste j’avais un groupe de 34 élèves que j’ai véritablement aimés comme un père. Je me permettais de les coiffer moi-même. Au mois d’octobre, je faisais coiffer toutes les filles et je rase les garçons. En février, je coiffe les garçons et je fais tresser les filles. Je les ai tenus du Cp1 jusqu’au CM2 et par le biais des affectations je suis parti. Jusqu’à présent il y en a avec qui nous avons gardé de très bons rapports. Ils viennent chez moi me rendre visite et m’appellent tous Papa.L’autre souvenir c’est mon dernier poste, c’est de là bas que j’ai eu toute l’inspiration nécessaire pour être ce que je suis aujourd’hui. en terme d’écriture, en terme de création d’entreprise et d’initiative . J’ai initié pas mal de choses à tel point qu’elle était une école nantie et enviée par tout le monde.
Ceux qui ne lisent pas sont sur une voie qui risque de leur faire regretter.
2- LADIKA: Vous avez été inspecteur de l’enseignement pré-scolaire, primaire et non formelle. Comment s’est donc passée la transition. Quel sont été les défis ?
IT: À l’époque, il ya eu un moment où on a supprimé le corps des instituteurs principaux auquel j’appartenais et tous ceux qui y étaient ont été reversés dans le corps des inspecteurs. C’est donc par le fait de cette réforme que je suis devenu inspecteur.
3-LADIKA: Vous avez écrit entre autres « Maximes Africaines ». Qu’est ce qui vous a inspiré à écrire cette oeuvre? Quelle est la portée que vous souhaitez que les lecteurs Burkinabè et Africains aient de cette oeuvre ?
Au départ, mon éditeur avait voulu que le titre soit » Les maximes de Maxime » parce qu’en ce moment je m’appelais Tiraogo Maxime Illy et il avait souhaité ce titre pour l’oeuvre.Après discussions,on a compris que commercialement ce n’était pas évident donc on a préféré garder le titre « maximes Africaines « . Je suis le benjamin d’une famille dont les parents étaient déjà âgés. Quand je naissais ma mère avait déjà plus de 45 ans et mon papa bien plus encore. J’ai donc été baigné dans ce milieu culturel où les adages et proverbes étaient les plus employés pour pouvoir amener l’enfant à comprendre. Je n’ai donc pas voulu garder ça pour moi seul et j’ai décidé de partager cela avec la postérité. J’ai donc commencé à recenser les proverbes que j’ai entendus avec mes parents et collecter d’autres en étant attentifs aux propos des gens.
4-LADIKA: Si vous deviez nous partager deux maximes . Lesquelles seraient-elles ?
IT: La première Maxime que j’aime employer même lorsque je fais mes dédicaces c’est celle-ci : » Un vieux assis voit plus loin qu’un jeune debout » pour dire que la vieillesse ce n’est pas seulement l’âge mais c’est aussi l’expérience et la formation. Dans nos valeurs culturelles, le vieillard semble être beaucoup plus expérimenté que le jeune. Je dis aux jeunes de chercher à se former et à s’instruire parce que quand on est instruit , on est en avance par rapport à ceux qui ne le sont pas.
La deuxième c’est celle-ci » Qui dort sur la natte d’autrui, dort à terre ». Nos valeurs culturelles qui sont les nôtres constituent notre natte et nous ne devons pas la troquer contre la natte des autres au point de nous perdre. On peut les connaître, les comprendre mais pas se baser sur ces valeurs étrangères pour nous définir nous-mêmes et nous développer.
5-LADIKA: On parle de valorisation et de promotion des langues nationales. Quel message avez-vous à dire à ce propos ?
IT: Le constat est là, nous parlons une langue qui n’est pas la nôtre aujourd’hui mais cela ne veut pas dire que nous devons compter uniquement sur cette langue. Nous avons été colonisés et formatés par cette langue . Nous réfléchissons même par cette langue. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons des difficultés à revenir à nos valeurs. Je pense que nous n’avons pas à rejeter cette langue mais nous avons surtout à nous recentrer beaucoup sur nos langues si vraiment nous voulons rester Africains. C’est un combat dans lequel je suis avec mon oeuvre « Maximes Africaines »qui a été éditée en 5 langues différentes dont 4 en langues nationales à savoir le Mooré, le Dioula, le Fulfuldé et le Bissa en plus du français.
6-LADIKA: Comment la littérature peut-elle contribuer à réaffirmer notre identité culturelle ?
IT: Selon moi , la littérature Burkinabè a commencé à écrire selon les règles et les principes de la culture française. À l’heure actuelle, il ya beaucoup d’œuvres où vous rencontrez des expressions dans nos langues locales. C’est vrai on utilise d’autres langues mais on dépeint la situation en fonction de nos réalités. Je pense qu’elle a un avenir assez radieux car les gens ont commencé à comprendre qu’il faut partager ces valeurs et les inculquer à la jeunesse.
7-LADIKA: Vous êtes président de l’association Nekre, promoteur du SLAK qui est à sa 7ème édition. Quels sont les défis et les obstacles que vous pouvez énumérer par rapport à la promotion du livre et de la culture au Burkina Faso ?
IT: Notre vision et souhait le plus ardent est que la lecture puisse être réintégrée dans la mentalité des Burkinabè. La preuve, à ce SLAK il ya une multitude d’oeuvres écrites par des Burkinabè. S’ils écrivent, il faut que ce soit lu. Le défi c’est faire de sorte qu’à travers nos activités nous puissions amener quelques personnes à aimer la lecture:Ce serait déjà une victoire. En 2017, quand nous commencions ce salon il n’y avait qu’un seul stand et aujourd’hui nous en avons une vingtaine. Les gens ne viennent pas forcément pour vendre mais pour montrer à la jeunesse qu’il y a de la matière. Le vrai défi c’est comment faire pour amener les gens à aimer la lecture et c’est notre combat à travers ce salon et les activités annexes telles que les concours de lecture, les conférences, les panels pour sensibiliser les gens.
La difficulté pour nous , c’est l’accompagnement. Elle n’est pas forcément financière même si cela aussi est important. Nous n’avons pas d’entrée de fonds pour nous permettre de continuer. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’ya que 4 festivals majeurs de la littérature au Burkina : La FILO, le SLAK, la biennale de la littérature de Bobo Dioulasso et les rendez-vous de la littérature de Fada. Notre souhait est que les opérateurs économiques associent leurs images à ces activités pour marquer leur accompagnement à l’éducation de la jeunesse .
8- LADIKA: Vous êtes sur LaDika, le média du livre. Quel message avez-vous à l’endroit de cette jeunesse qui lit moins qu’elle ne se divertit?
IT: Ceux qui ne lisent pas sont sur une voie qui risque de leur faire regretter. Si la lecture n’est pas importante pourquoi envoie t’on les enfants à l’école? Les gens courent vers l’école où la base c’est le livre et la lecture et tiennent en même temps un discours paradoxal en disant que la lecture n’est pas importante. Si nous voulons être au rendez-vous de l’histoire, nous sommes obligés de lire et écrire parce que celui qui n’a pas lu ne peut pas écrire.
Propos recueillis par Kadidia NÉBIÉ et Paul Ousmane COMPAORÉ