Suite de l’immersion dans l’univers livresque de Doum-Hani Douksidi Jean
5- Pourquoi avez-vous choisi de parler spécifiquement du mariage Moussey dans votre livre qui aborde la question du mariage Moussey/Mossi et sa portée éducative ?
Considérant le fait qu’aucune tradition n’est figée et que toutes les cultures se valent, j’ai voulu montrer que la modernité et la rationalité scientifique, qui consistent à instaurer de nouvelles manières d’appréhender notre rapport au monde, n’ont pas fait perdre au mariage moussey-moaga ses valeurs éducatives. À l’ère de la mondialisation marquée par d’inquiétantes mobilités démographiques et d’irréversibles échanges culturels, il urge d’interroger les traditions africaines sur leur participation à la construction de l’Universel. La culture d’un peuple, ensemble normatif et descriptif de ses manières et façons de faire, de penser et d’agir, transmis de génération en génération, est conçue aujourd’hui comme un caractère distinctif de l’espèce humaine. Chez les peuples Moussey-Mossi, le mariage traditionnel est un élément culturel de portée éducative. Il n’y a pas d’éducation sans culture ; et certainement, pas de culture sans éducation.
Choix de la tribu
Les Mussey/Mossi sont une population d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest. Du point de vue ethnonymique et selon le contexte, on observe différentes dénominations : Bananna, Mosi, Moussei, Musei, Mussey, Musey, Moussey, Musseyna, Mussoi, Mussoy ou Mussey, Mossi, Moaaga, Moaga, Molé, Moose, Moosi, Mose, Moshi, Mosi, Mosse, Mosses, Mossis, Moossé. De toutes ces dénominations, Mossi (Burkina Faso, Ghana, Togo, Côte d’Ivoire, Mali et Benin) et Moussey (Tchad, Cameroun et Nigéria) ont été imposées et utilisées depuis la période coloniale, mais les ethnonymes exacts utilisés par la population sont Moaga au singulier et Mosse au pluriel (pour le Burkina Faso), Bananna (qui veut dire ami) au singulier et au pluriel (pour le Tchad, le Cameroun et le Nigéria). L’emploi de Moussey (« homme courageux ») s’est imposé pour question de précision car, aujourd’hui, au Tchad, quand on parle de « Banana », ce mot désigne plusieurs tribus du Mayo-Kebbi géographique et de la Tandjilé, parmi lesquelles les Massa, les Marba, les Zimé, les Mesmé, les Lélé et les Moussey en question. Autrement dit, plusieurs tribus s’identifient comme des tribus amies (banana).
Ces peuples constituent un grand groupe social durable ayant un « esprit » qui pousse ses membres à agir et à penser d’une certaine façon unique au monde. Malgré leur diversité géographique, ils portent une vision unique du monde et une manière spécifique de l’habiter. Ils ne sont pas constitués en un royaume unique, mais en deux grands groupes présents en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Dans cet ouvrage, nous avons utilisé avec emphase, les appellations Bananna ou Moussey pour désigner le bloc d’Afrique centrale (y compris le Nigéria) et Mossi-Moaga, pour désigner le bloc du Burkina, du Ghana, du Togo, de la Côte d’Ivoire et du Benin. Par endroits, nous emploierons Moussey pour désigner l’ensemble.
Choix du mariage comme élément culturel de portée éducative
Hétérosexuel et exogamique, le mariage (Ndumba) est pour le peuple Mussey une alliance indissoluble (Ndumba ni somora bay bussa) qui achève le processus de maturité de l’adolescent. Il se déroule suivant un certain nombre de démarches qui peuvent varier selon les clans ou les villages auxquels appartient la fille. Mais les voies ou démarches à suivre sont partout les mêmes. Aucune limite d’âge n’est retenue pour le mariage qui a lieu très tôt pour les filles (dès qu’elles ont l’âge de puberté) et légèrement tard pour les hommes (25 à 40 ans). Souvent, les seins qui constituent un indice de maturité pour les jeunes filles, obligent les parents de celles-ci à les donner en mariage. Effectivement, une jeune fille dont les seins sont « tombés » avant le avant le mariage est considérée comme une « vieille fille » et repousse les jeunes prétendants. Une dizaine de principes président à l’organisation du mariage chez les Mussey : la patrilinéarité, l’initiation, l’observance de l’exogamie, la gestion de l’inceste, la virginité féminine, le couple lévirat-sororat, le rite de purification en cas de grossesse avant le mariage et le divorce.
Assurant la survie de l’espèce humaine et reconnu comme l’une des étapes de socialisation des jeunes générations, le mariage en Pays Mussey regorge de nombreux éléments ayant une portée éducative avérée : le sens du sacré, l’importance accordée à la vie, l’amour pérenne, la santé, la liberté, la fidélité, la fécondité, le bonheur, la sérénité, la stabilité, la continence, la gestion des difficultés, la responsabilité parentale, l’amitié, la protection sociale, la solidarité et l’unité. Nous allons présenter quelques-uns…
Propos recueillis par Kadidia NEBIE